mémoires d'une jeune fille rangée nombre de pages


Quel chagrin, me demandais-je, pourrait résister à la beauté du monde ? Moi j’avais rabâché que « je dirais tout » ; c’était trop et trop peu. Vous pouvez aider en ajoutant des références ou en supprimant le contenu inédit. Ils durent en revanche à notre cousinage le caractère irrémédiable que tout de suite je leur attribuai. Dans l’espace surnaturel flottaient, invisibles, impalpables, des myriades de petites âmes qui attendaient de s’incarner. Cependant, je persévérai. L’indulgence s’achevait en indifférence. Il aimait à peu près les mêmes livres que moi, avec une prédilection pour Claudel, et un certain dédain de Proust qu’il ne trouvait pas « essentiel ». Sur le boulevard Saint-Michel, la librairie Picard s’ouvrait libéralement aux étudiants : j’y feuilletais les revues d’avant-garde qui en ce temps-là naissaient et mouraient comme des mouches ; je lus Breton, Aragon ; le surréalisme me conquit. Claudel m’a été d’un secours très grand et je ne puis dire tout ce que je lui dois. » Elle avait [Page 401]ajouté : « Vous élevez Simone comme vous voulez. Si je lui parlais, même de nous, ce serait assez gravement. Il se donna au théâtre parce qu’il ne se résignait pas à la modestie de sa position : il n’envisageait pas de déchoir. Se pouvait-il que papa se fût trompé ? Je composai deux ou trois autres ouvrages qui eurent un moindre succès. Je me drapai dans la blanche tunique de sainte Blandine livrée aux lions : je fus déçue, car nul ne m’attaqua. J’avais une chambre, que je partageais avec Louise, et je dormais dans un grand lit, faussement ancien, en bois sculpté, que surmontait une reproduction de l’Assomption de Murillo. Quand Carpentier fut mis K.-O., il y eut des hommes et des femmes qui fondirent en larmes ; je rentrai à la maison toute fière d’avoir assisté à ce grand événement. Le lendemain, Pradelle, qui avait d’excellents rapports avec mes parents, dîna à la maison et nous partîmes ensuite pour le Ciné-Latin. Leur supériorité rejaillissait sur moi. Le très respectable formalisme dont vivent la plupart des gens de « notre milieu » m’est devenu insupportable, d’autant plus insupportable que je me rappelle l’époque pas bien lointaine où sans le savoir j’en étais encore pénétrée et que je crains en rentrant dans le cadre d’en reprendre l’esprit. Enfance, adolescence, et le sabot des vaches heurtant sous les étoiles la porte de l’étable, tout cela était derrière moi, déjà très loin. À distance j’avais comblé Jacques de mon amour, et s’il me le demandait à présent, mes mains étaient vides. Je pensai brusquement : « Peut-être qu’il se battra un jour contre Jacques, contre Pradelle », et j’eus envie de quitter la table. « Que prenez-vous ? Cependant, la veille de ma première classe, je sautai de joie dans l’antichambre : « Demain, je vais au cours ! Maman s’était entretenue avec Mademoiselle [Page 221]Lambert, principale collaboratrice de Madame Daniélou : si je continuais à étudier avec zèle, je pourrais fort bien pousser jusqu’à l’agrégation. Trouvé à l'intérieurIt is noteworthy that other early Arabic translations of Beauvoir's works, such as Le Deuxième Sexe and Mémoires d'une jeune fille rangée, also make major changes to the text. The translations are fragmented, which caused quite ... Celle-ci me pesait pourtant. Vraiment, j’étais incorrigible. Pendant plusieurs années il me permit de jouir sans scrupule de tous les biens de ce monde. Sa mère mourut l’année où il eut treize ans ; non seulement il en éprouva un violent chagrin, mais il se trouva brusquement abandonné à lui-même. Je m’étais tirée d’affaire par un travail négatif : la rupture avec mon passé, avec mon milieu ; j’avais fait aussi de grandes découvertes : Garric, l’amitié de Jacques, les livres. Bonne-maman le soignait et tricotait à longueur de journée des vêtements d’enfants. J’avais la clé de l’appartement. 1Lentrée de Simone de Beauvoir dans lédition de la Pléiade1 en 2018 sest faite par ses œuvres autobiographiques. Habillée dans le style de Saint-Thomas-d’Aquin, confortablement, quoique sans élégance, elle portait toujours de petites cloches enfoncées jusqu’aux sourcils, et souvent des gants. Ses goûts s’opposaient systématiquement à ceux de son aîné ; réfractaire aux sports, à la gymnastique, il se passionna pour la lecture et pour l’étude. Plus [Page 367]tard, à Paris, Stépha me raconta que les enfants ricanaient de me voir si mal habillée : ils ricanèrent aussi le jour où Zaza, sans m’en dire la raison, me prêta une de ses robes. À dix ans, elle circulait seule dans les rues ; au cours Désir, elle [Page 123]n’adopta jamais mes manières guindées ; elle parlait à ces demoiselles d’un ton poli, mais désinvolte, presque d’égale à égale. Le titre féminise celui d'un roman de Tristan Bernard, paru en 1899, Mémoires d'un jeune homme rangé [1]. Je me méfiais des conciliations et celle-ci en particulier me paraissait périlleuse. J’appris avec stupeur en lisant un fait divers que l’avortement était un délit ; ce qui se passait dans mon corps ne concernait que moi ; aucun argument ne m’en fit démordre. Après un dîner dans un restaurant alsacien, nous regardâmes le feu d’artifice, assis sur une pelouse de la Cité. Jacques arriva le lendemain, reçu, et rayonnant de suffisance. L’après-midi, elle s’amusa à tirer les cartes à toute l’assistance, y compris Xavier du Moulin avec qui, indifférente à sa soutane, elle flirtait discrètement : il ne paraissait pas insensible à ses avances, et il lui souriait beaucoup ; elle lui fit le grand jeu, et lui prédit qu’il rencontrerait bientôt la dame de cœur. Il parlait beaucoup des Bolcheviks, dont le nom ressemblait dangereusement à celui des Boches et qui l’avaient ruiné. Mais dans la grande église nue, je ne me sentais pas au chaud comme dans la chapelle du cours. « Je ne me laisserai pas faire, me disait-elle. Sur des carnets qu’il me montra, dans ses conversations, et même dans ses travaux scolaires, il affirmait avec entêtement un ensemble d’idées dont l’originalité et la cohérence étonnaient ses amis. Ne rien refuser », disaient Gide, Rivière, les surréalistes, et Jacques. Il cédait à la nécessité. Dans les théories de Bergson sur « le moi social et le moi profond » je reconnus avec enthousiasme ma propre expérience. Je passai mes examens de mathématiques et de latin. Mon nouveau directeur ne m’avait pas été donné dès l’enfance, je l’avais choisi, un peu au hasard : ce n’était pas un Père et je ne pouvais pas m’abandonner totale[Page 179]ment à lui. Ou bien il se gaspillait, il s’égarait loin de moi, et j’en souffrais ; ou il cherchait l’équilibre dans un « embourgeoisement » qui aurait pu le rapprocher de moi mais où je voyais une déchéance ; je ne pouvais pas le suivre dans ses désordres, je ne voulais pas m’installer avec lui dans un ordre que je méprisais. Je n’aperçus jamais ce qu’il y avait de déchiré et de grinçant dans ce qu’on appelait au cours Désir ses paradoxes. En revanche, je savais me servir du langage, et puisqu’il exprimait la substance des choses, il les éclairait. J’aperçus Riquet. Je tournai autour du pâté de maisons, [Page 277]une fois, deux fois, ni morte ni vive. Je penchai vers cette hypothèse, mais j’avais été dupe trop longtemps : l’illusion résistait au doute. Vous réussirez sûrement l’agrégation », conclut-il d’un air écœuré. Dans d’imaginaires dialogues avec Jacques, je récusais ses « À quoi bon ? Mais j’ai eu beau lui dire les choses les plus [Page 326]cruelles, je n’ai pu l’empêcher de voir combien il m’était cher et cette entrevue de rupture nous a liés plus que jamais. Mes parents ne la considéraient pas d’un mauvais œil. Je ne m’intéressais plus à l’enfant Jésus, mais j’adorais éperdument le Christ. J’offrirais à Zaza, pour sa fête, un sac que je confectionnerais de mes mains. J’écrivais mon roman avec persévérance. Un peu plus tard, quelqu’un — je ne sais plus qui — me chargea d’acheter dans une pieuse librairie proche de Saint-Sulpice une pièce pour patronage. Je crus avoir un véritable contact avec « le peuple » ; il me parut cordial, déférent, et tout disposé à collaborer avec les privilégiés. Nous croyions pertinent d’ajuster la présentation. M. Franchot, brillant causeur, féru de littérature, auteur de deux romans qu’il avait fait imprimer à ses frais, me demanda un soir d’une voix sarcastique quelles beautés je trouvais au Cornet à dés de Max Jacob. » « Détresse aussi bien devant le oui que devant le non au bonheur. Le prédicateur n’avait pas dit que les mauvais livres peignaient la vie sous des couleurs fausses : en ce cas, il eût facilement balayé leurs mensonges ; le drame de l’enfant qu’il avait échoué à sauver, c’est qu’elle avait découvert prématurément l’authentique visage de la réalité. Le meilleur ami de papa vivait maritalement, c’est-à-dire dans le péché ; cela ne l’empêchait pas de venir souvent à la maison : mais on n’y recevait pas sa concubine. Je continuai à m’occuper. Ainsi, ce que j’avais souvent redouté venait finalement de se réaliser : un acte, accompli dans l’innocence de la clandestinité, en se révélant me déshonorait. Je ne regardais plus en effet ces demoiselles comme les augustes prêtresses du Savoir mais comme d’assez dérisoires bigotes. Je me trompai lorsque je crus que son mariage me découvrait sa vérité et qu’après une crise de romantisme juvénile il allait tranquillement devenir le bourgeois qu’il était. D’ailleurs il était alors beaucoup plus anarchiste que révolutionnaire ; il trouvait détestable la société telle qu’elle était, mais il ne détestait pas la détester ; ce qu’il appelait son « esthétique d’opposition » s’accommodait fort bien de l’existence d’imbéciles et de salauds, et même l’exigeait : s’il n’y avait rien eu à abattre, à combattre, la littérature n’eût pas été grand-chose. Ils étaient faits l’un pour [Page 436]l’autre, ils s’aimaient. Un après-midi, assise à ses côtés dans une tribune d’Issy-les-Moulineaux, je vis basculer dans le ciel des biplans et des monoplans. Pour y briller, il jugeait qu’une femme devait avoir non seulement de la beauté, de l’élégance, mais encore de la conversation, de la lecture, aussi se réjouit-il de mes premiers succès d’écolière ; physiquement, je promettais ; si j’étais en outre intelligente et cultivée, je tiendrais avec éclat ma place dans la meilleure société. À Meyrignac, un été, je lus un ouvrage d’histoire qui préconisait le suffrage censitaire. Ma mère était d’humeur plus sereine qu’à Paris ; mon père se consacrait davantage à moi ; je disposais, pour lire et jouer avec ma sœur, d’immenses loisirs. Elle m’inculqua le sens du devoir, ainsi que des consignes d’oubli de soi et d’austérité. Votre navigateur ne permet pas la géolocalisation. À La Grillère, des prisonniers allemands, et un jeune réfugié belge, réformé pour obésité, mangeaient la soupe dans la cuisine, côte à côte avec des travailleurs français : ils s’entendaient tous très bien. Mémoires d'une jeune fille rangée « Je rêvais d'être ma propre cause et ma propre fin ; je pensais à présent que la littérature me permettrait de réaliser ce voeu. Elle était croyante, mais elle me laissa entendre que ses rapports avec Dieu n’étaient pas de tout repos. Je le scandalisai en professant une grande admiration pour le surréalisme. Parfois, tante Lili me sortait ; je ne sais par quel hasard, elle m’emmena à plusieurs reprises au concours hippique. « Quel dommage que Simone ne soit pas un garçon : elle aurait fait Polytechnique ! Il ne fréquentait plus guère à présent que des gens qu’il jugeait « communs » ; il renchérit sur leur vulgarité ; n’étant plus reconnu par ses pairs, il prit un aigre plaisir à se faire méconnaître par des inférieurs. D’autres déceptions attristèrent son adolescence. L’amitié de Zaza m’aurait soutenue si nous avions pu causer, mais la nuit même il y avait un tiers entre nous ; aussitôt couchée, j’essayais de m’endormir. 502 pages. « J’ai passé chez Zaza. Elle portait une robe neuve, en voile bleu, à dessins noirs et blancs, et une grande capeline de paille : comme elle s’était épanouie, depuis le début de l’été ! L’année passée, je m’étais tant bien que mal accommodée de mon sort parce que j’étais étonnée des grands changements qui se produisaient en moi ; maintenant, cette aventure était achevée et je retombai dans la détresse. En me serrant la main, il me dit d’un air pénétré : « Je vous souhaite beaucoup de bonnes choses. Je présume que, de son côté, elle me trouvait trop jeune ; elle espaça nos rencontres et je n’insistai pas ; au bout de quelques semaines, nous cessâmes de nous voir. Trouvé à l'intérieur – Page 88Les obstacles auxquels se heurte l'enfant pour accéder à la notion de signe sont décrits par Simone de Beauvoir dans le passage suivant ( Mémoires d'une jeune fille rangée , page 24 ) : « A trois ans , je répétais que le 0 s'appelle 0 ... En revanche, je me faisais de nos rapports une idée précise : j’éprouverais pour lui une admiration passionnée. » Et puis il détourna la conversation ; il ne se livrait jamais que par toutes petites bribes et je n’insistais pas. Certes je ne croyais pas que pendant mon sommeil les fleurs du salon s’en allaient au [Page 68]bal, ni que dans la vitrine des idylles se nouaient entre les bibelots. Tout est trop faible : toutes choses tendent à mourir. Que les soirées me semblaient longues, et les dimanches ! Il était instable, égoïste, et [Page 306]il n’aimait que s’amuser. Je restai au coin de mon feu, à lire Meredith. Je pouvais toucher tous ces objets où sa présence était inscrite : mais ils ne me la livraient pas ; en me l’annonçant, ils me la cachaient ; on aurait même dit qu’ils me défiaient de jamais m’en approcher. Il faudra vivre complètement séparés — quelle horreur ! 207036786X. Je ne crois pas qu’on puisse plus délicieusement gronder les gens, leur faire leur procès, les absoudre et leur persuader avec plus de gaieté et de gentillesse que tout est simple, que tout est beau et qu’il faut y croire. Contre Renan, je protestai sur mon cahier que le grand homme lui-même n’est pas une fin en soi : il ne se justifie que s’il contribue à élever le niveau intellectuel et moral de la commune humanité. Quatre volumes ont paru de 1958 à 1972 : Mémoires d’une jeune fille rangée, La force de l’âge, La force des choses, Tout compte fait, auxquels s’adjoint le récit de 1964 Une mort très douce. À treize ans, il avait déjà des manières de jeune homme ; l’indépendance de sa vie, son autorité dans les discussions en faisaient un précoce adulte et je trouvais normal qu’il me traitât en petite cousine. Comme chaque semaine, je fis avec soin le mot à mot de ma version latine et je le transcrivis sur deux colonnes. Robert Garric, notre futur professeur de littérature, catholique fervent et d’une spiritualité au-dessus de tout soupçon, avait affirmé à M. Mabille qu’on peut passer une licence sans se damner. Je déjeunai avec eux et ils partirent se promener en tête à tête. Je portai donc seule mon secret et je le trouvai lourd : pour la première fois de ma vie, j’avais l’impression que le bien ne coïncidait pas avec la vérité. » Pradelle avait connu Zaza par moi : c’était une mauvaise note. Le médecin l’avait fait transporter dans une clinique de Saint-Cloud ; il lui fallait une solitude et un calme absolus ; elle ne devait recevoir aucune visite : si la fièvre ne tombait pas, elle était perdue. Dans mes jeux, je ne consentais à la maternité qu’à condition d’en nier les aspects nourriciers. Pendant des jours, je m’entêtai. Il y met au contraire tous ses efforts. Un moulin se mirait dans l’eau où vagabondaient des nuages. Jamais je ne pourrai me satisfaire de ce qui le satisfait. Un soir Pradelle invita chez lui ses meilleurs amis et leurs sœurs. Louise ne pleurait jamais ; elle ne possédait pas de brebis, elle m’aimait : et comment peut-on comparer une petite fille [Page 20]à des moutons ? J’appris la clandestinité. Magdeleine soignait ses bêtes. En 1919, mes parents ayant trouvé rue de Rennes un appartement moins coûteux que celui du boulevard Montparnasse nous laissèrent, ma sœur et moi, à La Grillère, pendant la première quinzaine d’octobre, afin de déménager tranquillement. Je demandai à Zaza pourquoi elle n’avait aucune intimité avec lui. J’allai trouver Mademoiselle Lejeune dans son cabinet et je lui jurai, les larmes aux yeux, que je n’avais pas copié : il s’était glissé dans ma version d’involontaires réminiscences. D’une voix un peu hésitante, Pradelle me confia qu’à Solesmes il avait communié : en voyant ses camarades s’approcher de la table sainte, il s’était senti exilé, exclu, abandonné ; il les y avait accompagnés, le lendemain, après s’être confessé ; il avait décidé qu’il croyait. Elle dîna à la maison et m’accompagna rue du Four. Sans aucun doute, j’avais bien des raisons de me féliciter de mon sort. J’avais deux collaboratrices, chargées [Page 293]d’enseigner l’une l’anglais, l’autre la gymnastique ; elles approchaient de la trentaine et ne sortaient jamais le soir sans leurs parents. Sa mère n’osait pas lui reprendre trop brutalement sa liberté ; elle l’autorisa à sortir deux ou trois fois le soir, avec moi. Dès que je me sentais utile ou aimée, l’horizon s’éclairait et à nouveau je me faisais des promesses : « Être aimée, être admirée, être nécessaire ; être quelqu’un. Ce document contient 400 mots soit 1 pages. Je fus reçue en philosophie générale. L’image que j’évoquais, c’était celle d’une escalade où mon partenaire, un peu plus agile et robuste que moi, m’aiderait à me hisser de palier en palier. [Page 325]Zaza avait réussi son certificat de grec. Je sentais sur mes paupières la chaleur du soleil qui brille pour tous et [Page 165]qui ici, en cet instant, ne caressait que moi. En la quittant, j’arpentais à pas vifs les Buttes-Chaumont. Je restais convaincue que le péché est la place béante de Dieu et je me perchais sur mon tabouret avec la ferveur qui me prostrait, enfant, au pied du Saint-Sacrement : je touchais la même présence ; le jazz avait remplacé la grande voix de l’orgue, et je guettais l’aventure comme autrefois j’attendais l’extase. Je me promenai beaucoup avec ma sœur. On déjeunait tard. Elle nous reconduisit chez nos parents ; avant même qu’elle eût refermé la porte, une scène éclata : nous avions oublié à Meulan une brosse à dents ! [Page 246]Mes parents froncèrent les sourcils. Mais mon silence relevait d’une consigne plus générale : désormais je me surveillais. ». Sous son influence et pour lui complaire, ne me laisserais-je pas entraîner à sacrifier tout ce qui faisait « ma valeur » ? » Il m’emmenait chez Poccardi et quand je me levais, la dernière tasse avalée, il disait affectueusement : « Quel dommage ! J’eus brusquement l’évidence, un matin, qu’un chrétien convaincu de la béatitude future n’aurait pas dû accorder le moindre prix aux choses éphémères. Quand le rideau se releva, Charles, en chemise, se débattait entre les mains d’hommes masqués et vêtus de cagoules. Simone de Beauvoir (1908-1986) Mémoires d'une jeune fille rangée (1958) Nous avons lu ce livre en juin 2019. Nous tenions des conférences sous les cèdres et nous pourfendions les Prussiens à coups de sabre. Fatiguée, la tête vide, je l’ouvris d’un geste machinal ; je n’avais pas l’intention de le lire, mais il me semblait que, sans même réunir les mots en phrases, un coup d’œil jeté à l’intérieur du volume me révélerait la couleur de son secret. Mémoires d'une jeune adulte qui se cherche, se trouve et se cherche encore parfois. J’allais au bout de [Page 284]mes sentiments, de mes idées, de mes entreprises ; je ne prenais rien à la légère ; et comme dans ma petite enfance je voulais que tout dans ma vie fût justifié par une sorte de nécessité. Mais ce qu’il y avait de plus irrésistible chez lui, c’était son rire : on aurait dit qu’il venait de tomber à l’improviste sur une planète qui n’était pas la sienne et dont il découvrait avec ravissement la prodigieuse drôlerie ; quand son rire explosait, tout me paraissait nouveau, surprenant, délicieux. Il m’emmena dans le jardin de l’École. Je me rêvais l’absolu fondement de moi-même et ma propre apothéose. Beauvoir voit en la philosophie une manière d'aller « droit à l'essentiel[6]» ; elle sied bien à son esprit de système et instaure un ordre, une raison dans un réel qui apparaît désordonné : « je percevais le sens global des choses plutôt que leurs singularités, et j’aimais mieux comprendre que voir[6]». Au fond, j’étais très contente qu’il n’existât pas. Je plaignais les grandes personnes dont les semaines étales sont à peine colorées par la fadeur des dimanches. » C’est que je venais de faire une cuisante découverte : cette belle histoire qui était ma vie, elle devenait fausse au fur et à mesure que je me la racontais. Il m’avait invitée chez lui. Papa riait aussi avec moi ; il me faisait chanter : C’est une auto grise… ou *Elle avait une jambe de bois* ; il m’ébahissait en cueillant au bout de mon nez des pièces de cent sous. Quand le matin je franchissais en courant les barrières blanches pour m’enfoncer dans les sous-bois, c’était lui-même qui m’appelait. En avait-il été touché ou irrité ? Ma première œuvre s’intitula Les Malheurs de Marguerite. C’est une laide et mauvaise action qu’il fera là. » Renversant cette phrase, je vis dans l’obscurité de mes chemins le signe que je marchais vers un accomplissement. Signe que le cycle La guerre l’engloutit ; il ne vint jamais rechercher sa pendule. La première fois que je l’avais aperçu à la Sorbonne, il portait un chapeau et causait d’un air animé avec une grande bringue d’agrégative que je trouvai très vilaine ; elle lui avait vite déplu ; il s’était lié avec une autre, plus jolie, mais qui faisait des embarras et avec qui il s’était rapidement brouillé. J’accomplissais le travail de la défaite. Et surtout, elle envisageait l’avenir avec une confiance qu’elle ne s’expliquait pas. Suzanne Boigue qui revenait du Maroc me reçut dans un clair appartement, discrètement exotique ; elle était aimée et heureuse, je l’enviai. À la campagne, pendant les vacances, on m’emmenait parfois jouer chez un lointain petit cousin ; il habitait une belle maison, au milieu [Page 28]d’un grand parc et je m’amusais assez bien avec lui. 4,4 sur 5 étoiles 3. Il n’y a nulle part de volonté de puissance. L’ennui, c’est qu’au sein de cette caste à laquelle il prétendait, il se trouvait n’être rien ; il avait un nom à particule, mais obscur, qui ne lui ouvrait ni les clubs, ni les salons élégants ; pour vivre en grand seigneur, les moyens lui manquaient. est-ce un rite amoureux ? » Cette fois non plus, je ne m’interrogeai pas. Évidemment, je ne prétendais pas qu’on dût s’entêter indéfiniment dans la virginité. Elle ferma sa porte, pour que ma sœur n’entendît pas la suite de notre entretien ; d’une voix implorante, elle ébaucha une démonstration de l’existence de Dieu, puis elle eut un geste d’impuissance, et s’arrêta, les larmes aux yeux. Que son goût de sa propre vie et des choses créées la sauve de la dureté de l’existence, je l’admets.
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